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LA COMPAGNIE JOËL POMMERAT, UNE COMPAGNIE AVANTAGÉE

Nous découvrirons ensemble d’abord ce que Joël Pommerat a pour esthétique théâtrale, d’un genre nouveau, du théâtre contemporain. Nous traverserons ses créations ça ira (1) fin de Louis ainsi que son opéra L'inondation, qui parlent respectivement de crises climatique et politique. Puis nous analyserons sa compagnie Louis Brouillard-Joël Pommerat, au cœur de la crise du COVID-19 et qui révèle certains avantages économiques que d’autres compagnies ordinaires n’ont pas. 

Les spectacles de Joël Pommerat n’auraient pas été créés sans l’aide de plusieurs partenaires culturels très importants. ça ira (1) fin de Louis est une belle mise en abyme de notre société française qui est tendue entre tradition et modernité, passé et présent. En effet, Pommerat associe le mythe de la Révolution française dans un temps présent où Internet et les réseaux sociaux sont devenus omniprésents en politique. Il réalise un temps d'arrêt de l’histoire entre 1889 et 1891, pour renouer avec le débat qui est l’essence de la politique française. La mise en scène est amenée dans une assemblée qui emmène le spectateur dans un processus scénique immersif mais non-participatif. Les acteurs et les acteurs-amateurs sont répartis dans l’ensemble de la salle de spectacle afin de libérer une position politique qui éveille chez le spectateur la question de sa participation au débat politique. Alors que quatre heures et demie de spectacle défilent, plus d’une trentaine d’acteurs jouent dans cette immense scène du centre dramatique national du théâtre des Amandiers de Nanterre, orchestré par une mise en scène fastidieuse qui a demandé énormément de temps de travail sur le plan de son écriture, sa scénographie et ses costumes (1). 

 

Il est question pour Joël Pommerat d’une création “inversée” sur le plan de la mise en scène traditionnelle telle qu’il l’indique “je n’écris pas de théâtre, j’écris des spectacles(2)". Au lieu de débuter par l’écriture accomplie d’un spectacle de théâtre, c’est par la scène qu’il débute. Ainsi, son écriture comme sa mise en scène mettent en perspective de nouvelles visions théâtrales, car nous sommes scindés entre la fiction et le réel. En effet, il passe par un processus de création intitulé “écriture de plateau”. Il élabore avant tout sur une durée de 6 mois à 1 an un cadre, un plan scénaristique par le biais de l’improvisation. Il transfère ses improvisations à l’écrit, qu’il réécrit. Puis, il les fait rejouer à ces mêmes acteurs. Ainsi, les textes sont sans cesse en mouvement. Cette étape du processus de création demande du temps afin de trouver et chercher le texte le plus juste. 

Parfois, au début de certaines créations, les acteurs peuvent ne pas être les mêmes qui jouent les représentations théâtrales, tel était le cas pour l’opéra L’Inondation. Il établit un cadre entre l’écriture lyrique et scénaristique en collaboration avec le compositeur Francesco Filidei. Un opéra qui adapte les textes éponymes de Evgueni Zamiatine (3). Cet opéra évoque les thématiques de la nature et des sentiments. Une perspective allégorique se joue entre l’inondation des eaux et les sentiments humains. Une parfaite symbiose entre les pulsions humaines et naturelles, telle une Gaia, une figure mythologique matriarcale intrépide, qui pouvait être généreuse autant que partiale (4). Des textes évocateurs d’un sujet sur la nature en crise climatique déjà pressenti dans les textes de Zamiatine, comme nous le montrent cet extrait.

"La vitre tintait sous le vent, des nuages gris et bas- des nuages de la ville, des nuages étouffants de l'été que pas un orage n'avait transpercés. Sophia sentit que ces nuages n'étaient pas au-dehors, mais en elle, que depuis des mois ils s'amoncelaient comme des pierres, et qu'à présent, pour ne pas étouffée par eux il faillit qu'elle brise quelque chose en mille morceaux, ou bien qu'elle parte d'ici en courant, ou encore qu'elle se mette à hurler... (5)

 

Le texte de Zamiatine peut par exemple faire des allusions entre les traces de l'anthropocène et la nature. Le visuel de cette image nous évoque "les nuages de la ville" qui semble "étouffant", ses caractéristiques sont le fruit d'une nature transformée par l'homme. La pollution, ici, est la marque d'une ambiance où le climat change les comportements humains et Sophia se sentira bouleversée.

Mais aussi, durant cette période, l’ensemble de la scène devient l’objet de l’écriture, les lumières, les sons, les ambiances, la scénographie, les costumes y sont essayés, dès le premier jour de répétition. Les acteurs choisis pour les représentations, continueront d’improviser les textes qui deviendront alors de plus en plus subtils au point où l’écriture de la création soit attachée aux acteurs. C’est pourquoi, les reprises de ses spectacles ne peuvent pas s'opérer sans les acteurs choisis spécialement pour la pièce, sans quoi la pièce perdra la crédibilité de ses personnages. 

Alors, au terme d’un processus de création qui demande tant de temps et d’argent, l’économie du spectacle vivant y est revue en ces termes. La compagnie Louis Brouillard-Joël Pommerat est la compagnie de Joël Pommerat qui détient un statut assez particulier.

Au début, avant l’ascension hégémonique de ses célèbres pièces de théâtre, la compagnie était indépendante et ordinaire. Elle ne pouvait pas contourner le "coût plateau” de leurs créations. Les limites de leurs pièces de théâtre étaient les budgets liés à la création et nous nous en sommes aperçus lors du séminaire de "théâtre en crise" qui invita la co-directrice de la compagnie, Anna De Amezaga.  

En discutant de la crise du COVID-19 dans le théâtre en France avec les étudiants, nous avons remarqué que la compagnie était aidée, même, au-delà de ses besoins. Pour récapituler et remettre la situation à sa place, le gouvernement, le ministère de la Culture et de la Communication, indemnise les compagnies de spectacle vivant en ces temps de crise sanitaire de la COVID-19 pour pallier la déstabilisation économique. Bien qu’elle indemnise les compagnies théâtrales, certaines sont surindemnisées comme l’a évoquée la co-directrice. Nous observons que les aides ont été fournies aux privilégiés du système, les plus grosses compagnies de spectacle vivant. Tout en relativisant que madame De Amezaga, nous indiquait rendre le surplus à l’Etat (6).

 

D’autre part, ce dramaturge célèbre, rayonne à l’étranger dans sa discipline théâtrale. Il est un des auteurs/metteurs en scène les plus célèbres de France et contribue au rayonnement français à l’international. Sa compagnie Louis Brouillard-Joël Pommerat est une compagnie qui réalise de très grosses mises en scène et qui demande du temps et de l’argent, avec tous les intervenants comédiens, techniciens, scénographes, costumiers (7). Mais le coût budgétaire a ses limites lorsqu’une compagnie indépendante souhaite créer des mises en scène.

C’est pourquoi, la DRAC reversait une partie des subventions aux compagnies. En revanche, elle ne peut pas atteindre des sommes astronomiques mettant en cause, l’égalité et le partage des financements avec d’autres compagnies théâtrales. Après de vives discussions avec le ministère de la culture et de la communication, la compagnie tenait à obtenir des subventions plus importantes pour pallier la juste marge budgétaire de leurs créations. En son temps, le ministère réagissait de tel, à ce que Joël Pommerat devait diriger un Centre Dramatique National, une Scène Nationale ou bien un Théâtre National.

Malheureusement, le problème est venu du côté de Joël Pommerat qui ne voulait pas diriger un établissement de théâtral national. Sa conviction était de mettre en scène ses pièces de théâtre. Par conséquent, la co-directrice de la compagnie, Anna De Amezaga, réussit à négocier avec l’ancien ministre de la Culture sur un conventionnement de la compagnie et le label de “compagnie nationale” fut créé en 2015.

Le fonctionnement de “compagnie conventionnée par la direction régionale des affaires culturelles” promeut les compagnies de divers arts vivants au rayonnement national et international dans l’aide à la structuration, l’aide au projet culturelle ainsi qu’au conventionnement. 

Ce qui nous intéresse, c’est “l’aide au projet” qui est un assouplissement des normes et des demandes budgétaires des compagnies théâtrales proférées par la DRAC qui soutient les nouvelles créations, prolonge la représentation au public d’une création ou permet la reprise d’un spectacle (8). Nous en arrivons où la compagnie théâtrale avec une licence entrepreneuriale de spectacle vivant issue d’une association de loi 1901 arrive à une forme d’économie culturelle néo-libérale, en analogie à d'autres compagnies ordinaires qui ont des règles plus restrictives en matière d'autorisation de spectacle vivant. ce détour fait tout de même la différence. 

Le néolibéralisme n’est pas le “nouveau libéralisme”. Cette forme d’économie  réussit à budgétiser, à économiser, à faire du profit sur un service public qui n’a pas lieu d’être une économie qui fait du profit, du capital, du rendement. Les universités, les hôpitaux, la police, la culture sont des services publics qui n’ont pas lieu à participer au profit de l’économie mais à la valorisation de la vie économique. Ces derniers sont des dépenses liées à la vie sociale et où nous investissons à perte dans notre économie, c'est-à-dire que nous ne retrouverons pas l’argent investi dans ces domaines. 

En revanche, le problème est que le système capitaliste cherche à faire du profit un peu partout, tellement, au point d’en arriver à faire des économies sur un service public. réduire les budgets, économiser et rendre profitable, permettrait alors d’éviter de rendre les services sociaux “ à perte”. Sauf que nous oublions, à quel point ces services sociaux sont valorisants à une vie économique croissante. Aussi, en réduisant les budgets au point où ces services sociaux deviennent défaillants, nous posons la question de “l’essentialité” d’un service public. Qu’apportent les services sociaux à la société? Peut-être que le système en arrive petit à petit à son terme, qu’il commence à toucher ses propres limites.   

Dans la culture, notamment les arts contemporains, investir, spéculer sur une œuvre qui au départ n’avait pas une grande rente, elle a su donner de la valeur ajoutée à l’objet artistique. Spéculer peut être une forme de néolibéralisme dans la culture (9).

Si nous transposons ce même système de marchandage d’art dans le théâtre contemporain, nous remarquons le cadre néolibéral qui s’en dégage. Le statut de “compagnie conventionnée par la DRAC” promeut une ouverture plus large du paysage théâtral public vers le priver. 

Par conséquent, nous sommes passés par l’une des plus grandes compagnies de théâtre en France et à l’international. La compagnie Louis Brouillard-Joël Pommerat a su se différencier des autres compagnies en co-créant avec le ministère de la culture le label de “compagnie Nationale”. Nous avons vu par la suite en quoi ce label pourrait être une source de rentabilité supplémentaire pour les grosses compagnies de spectacle vivant et elle pose les questions morales, de la culture et de l’économie. 

Nous avons appris que l’économie est morale et que l’on investit de l’argent dans un but bien précis. La deuxième question s'ouvre sur la culture, pouvons-nous garder un système d’une économie culturelle traditionnelle de Malraux. Ou bien réinventer le système global afin de le rendre ainsi plus ouvert à l’économie libérale et ainsi se retrouver dans les mêmes économies culturelles anglo-saxonnes.

NOTES DE BAS DE PAGE

1: BOURDIN PHILIPPE, BRASSART LAURENT, CARRÉ BENOÎT ET AL., « JOËL POMMERAT ÇA IRA (1). FIN DE LOUIS », ANNALES HISTORIQUES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE, 2017/4 (N° 390), P. 221-238. URL : HTTPS://WWW.CAIRN-INT.INFO/REVUE-ANNALES-HISTORIQUES-DE-LA-REVOLUTION-FRANCAISE-2017-4-PAGE-221.HTM 

2: ETUDES D’UNE OEUVRE INTÉGRALE EN DE PREMIÈRE DANS LE CADRE DE L’OBJET D’ÉTUDE “LE TEXTE DE THÉÂTRE ET SA REPRÉSENTATION DU XVIIÈME À NOS JOURS” HTTP://WWW.AC-CORSE.FR/LETTRES/DOCS/S%20QUENCE%20LES%20MARCHANDS%20J.%20POMMERAT.PDF

3: L'INONDATION, MISE EN SCÈNE DE JOEL POMMERAT, COMPOSITION  DE FRANCESCO FILIDEI, CRÉE À PARIS À L’OPÉRA-COMIQUE DE PARIS, 2019 [VU EN OCTOBRE 2019] HTTPS://WWW.OPERA-COMIQUE.COM/FR/SAISONS/SAISON-2019/L-INONDATION 

 4: BRUNO LATOUR, FACE À GAÏA : HUIT CONFÉRENCES SUR LE NOUVEAU RÉGIME CLIMATIQUE, PARIS, LA DÉCOUVERTE, COLL. “EMPÊCHEURS DE PENSER EN ROND”, 2015 

5: EVGUENI  ZAMIATINE, L’INONDATION, TRAD. BARBARA NASAROFF, ARLES, ACTES SUD, 2014, p.26

6 : RENCONTRE AVEC ANNA DE AMAZEGA À LA SORBONNE PANTHÉON LE 5 OCTOBRE

8: DÉCRET N°2015-641 DU 8 JUIN RELATIF À L’ATTRIBUTION DES AIDES DÉCONCENTRÉES AU SPECTACLE VIVANT URL:  HTTPS://WWW.LEGIFRANCE.GOUV.FR/LODA/ID/JORFTEXT000030703607/2020-11-15/

9: CLERC DENIS, « SERGE AUDIER ET LE NÉO-LIBÉRALISME », L'ÉCONOMIE POLITIQUE, 2012/4 (N° 56), P. 98-103. DOI : 10.3917/LECO.056.0098. URL : HTTPS://WWW.CAIRN.INFO/REVUE-L-ECONOMIE-POLITIQUE-2012-4-PAGE-98.HTM

BIBLIOGRAPHIE

SPECTACLES VUS DE JOEL POMMERAT

L'inondation, mise en scène de Joël Pommerat, composition  de Francesco Filidei, crée à Paris à l’Opéra-Comique de Paris, 2019 [vu en Octobre 2019]

ça ira (1). Fin de Louis, mise en scène de Joël Pommerat, crée à Nanterre au théâtre des amandiers-Nanterre, 2017, [vu en décembre 2017]

ŒUVRES ET ARTICLES LIÉES AU THÉÂTRE EN CRISE

Daniel Urrutiaguer, Economie et droit du spectacle vivant en France, Paris, Presse Sorbonne Nouvelle, 2010

Bruno Latour, Face à Gaïa : Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La découverte, coll. “Empêcheurs de penser en rond”, 2015

Evgueni  Zamiatine, L’Inondation, trad. Barbara Nasaroff, Arles, Actes Sud, coll. “les inépuisables”, 2014

Clerc Denis, « Serge Audier et le néo-libéralisme », L'Économie politique, 2012/4 (n° 56), p. 98-103. DOI : 10.3917/leco.056.0098. URL : https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2012-4-page-98.htm

Décret n°2015-641 du 8 Juin relatif à l’attribution des aides déconcentrées au spectacle vivant URL:  https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000030703607/2020-11-15/

Bourdin Philippe, Brassart Laurent, Carré Benoît et al., « Joël Pommerat Ça ira (1). Fin de Louis », Annales historiques de la Révolution française, 2017/4 (n° 390), p. 221-238. URL : https://www.cairn-int.info/revue-annales-historiques-de-la-revolution-francaise-2017-4-page-221.htm 

LES RENCONTRES

Rencontre avec Anna De Amazega à la Sorbonne Panthéon le 5 Octobre

Rencontre avec Joel Pommerat https://www.theatre-contemporain.net/video/Rencontre-avec-Joel-Pommerat

Rencontre avec Joel Pommerat

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MAROUANE ROUSSIN

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