LES DIFFICULTÉS EN TEMPS DE CRISE DU COVID-19 LIÉES À UNE JEUNE/ÉMERGEANTE COMPAGNIE

Pour élargir notre champ d’investigation nous avons voulu pousser notre enquête en étudiant une compagnie émergente. Émerger ou débuter nous ont paru d’autant plus difficile en ces temps de COVID-19. Nous voulons montrer l’état actuel d’une compagnie de théâtre. Avec l’ensemble de l’équipe, nous avons listé les différentes compagnies et salles de spectacle qui seraient intéressants d’évoquer qu’ainsi à interviewer. Notre choix s'est finalement arrêté sur la compagnie Hoc Momento.

La Cie Hoc Momento (1)

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Cette compagnie voit ses premiers jours et ses premières actions officielles en 2014 au Brésil à Barra do Pirai. Se réclamant du théâtre In Situ (2), l’objectif est d’implanter de la culture et notamment des arts vivants au cœur d’un lieu ou d’un milieu qui n’a pas eu la chance initiale d’en avoir. Dans ce lieu, elle propose une participation collective où nous pouvons non seulement interroger le monde mais surtout le réinventer! C’est pourquoi le processus se fait avec une vingtaine de personnes venant des environs. Ils construisent ensemble des lieux de culture de ses débuts en construction, en passant par les répétitions, jusqu’aux premières représentations. Amener ou implanter la culture dans un espace qui n’avait pas lieu d’être, permet d’accroître ainsi les valeurs de la réflexion, mais aussi d'esprit de communauté et de partage. Une valeur ajoutée aux collectivités territoriales qui tente également tant bien que mal de pallier ce manque. 

Par cet aspect d’implantation de la culture, elle désire dépasser les séparations entre théâtre d’art et théâtre militant. Leur esthétique artistique est tout autant créative qu’exhaustive dans ses rapports aux différentes disciplines artistiques. Les créations artistiques sont variées, elles peuvent mêler les arts du théâtre, de la danse, du chant, du masque, de l’improvisation et bien d’autres. En construisant, en intervenant, ils surviennent à leur besoin de créer tout en rassemblant et soudant “une communauté éphémère (3)”. Une communauté qui a pour vocation d’exister dans un temps très court, le temps d’une création. Nous ne pouvons qu’être admiratifs de leur noble travail, tant dans les aides apportées à la communauté que dans leur puissance et singularité artistique que dans les valeurs de partage et d'ouverture qu’ils transmettent et incarnent.  

Leur dernière création : Montjoie! Saint Denis

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Montjoie! Saint Denis est la dernière grande création de la compagnie Hoc Momento. Cette création au fur et à mesure des années à reçu des soutiens de plusieurs acteurs sociaux (4) : des collectivités territoriales, de coproductions, de partenariats avec d’autres associations, de subventions. Conformément à leur valeur, ce spectacle est né à la suite de nombreuses collaborations collectives. D’abord à l’Université Paris 8, puis à l’Espace Imaginaire et enfin à l’Académie Fratellini. Le spectacle n’a cessé d’être adapté, réécrit et recréé dans chacun des espaces qui l’ont accueilli. Une première dans l’histoire de la compagnie, un spectacle créé in situ se voit exporter dans de nouveaux espaces, si bien qu’une tournée est en train d’être mise en place pour la saison 2021-2022.
Ce spectacle est une critique de la société capitaliste et de ces émanations. Starification, élitisme, mépris de classe, gentrification, domination écrasante des populations fragiles, autant de questions que soulève le spectacle à partir d’un événement imminent à la ville de Saint Denis : les Jeux Olympique de 2024 ! Cet événement, fête et réjouissance pour certains, cataclysme et catastrophe pour d’autres ne fait surement pas l’unanimité malgré un discours médiatique qui voudrait nous le faire croire. En effet, à bien des échelles les JO ont des répercussions désastreuses, au niveau des villes, populations et des environnements qui les accueillent. Mais aussi, et plus largement cet évènement entretient une idéologie iconoclaste, inhérente à la pensée capitaliste (avec les répercussions écologiques que nous lui connaissons). Ce spectacle, c’est une résistance, un cri de révolte face à un monde en crise, un monde qui menace de s’effondrer, en bref, un objet qui critique l’institution des jeux olympiques.

Cette compagnie, dont la création de lien est la première composante, a donc nécessairement souffert du coronavirus d’une manière ou d’une autre, la question est de savoir comment ils l’ont vécu? L’ont-ils vécu plus ou moins bien que d’autres grosses compagnies théâtrales ? 

Toutes ces questions et bien d’autres seront donc condensées et exprimées sous la forme d’une interview semi-directive par Zoom interposé. L’objectif de cette interview est de créer un témoignage d’une compagnie émergente frappée par la crise du COVID-19. 

C’est donc notre équipe de chercheurs du théâtre en crise qui mènera cette interview avec Louise ROUX et Frederico NEPOMUCENO, Co-Directeur.trice et metteur.se en scène de la compagnie Hoc Momento (5). 

L’entretien s’est déroulé avec enthousiasme et intérêt, nombre discussions passionnantes et témoignages poignants ont émergé. Nous avons pu développer et poser toutes nos questions, même si nous avons largement dépassé notre temps d’interview initialement prévu. Louise ROUX et Frederico NEPOMUCENO, ont également écrit plusieurs articles dont vous trouverez les références ci dessous :

Roux L., Nepomuceno F. « Création partagée dans une ville laboratoire », in Registres, Hors-Série N°5, « Des expériences artistiques au prisme du développement durable », Sorbonne Nouvelle, 2018, pp. 137-150.

Les entrelacs du théâtre in situ, de l’action culturelle à l’action artistique. Retour sur le projet « Montjoie ! Saint-Denis ! » , in Revista brasileira de Estudos da Presença, https://seer.ufrgs.br/presenca , 2020

Après avoir échangé autour de la compagnie, ses aspirations artistiques, humaines et politiques, sa structuration et son fonctionnement, nous avons cherché à en savoir plus sur ses difficultés quant à son développement et à son émergence. Hoc Momento est donc dans un passage crucial de l’émergence. Dans un point où les actions qu’ils menaient depuis plus de 10 ans ont fini par trouver une place dans le carcan institutionnel. Ce moment où commencent les premières rémunérations des acteurs de la compagnie, mais où la charge administrative tels que les demandes de subvention, la diffusion des projets et l’organisation interne, devient trop lourde pour n’être qu’un travail bénévole. Là où il faudrait payer des administrateurs pour s’en occuper, mais où l’argent pour la création artistique et les comédiens manquent déjà. 

C’est donc dans ce contexte, dans cet essor de développement que la compagnie se retrouve confrontée à la crise du COVID-19. C’est ici que les actions de la compagnie se heurtent à l’interdiction de sortir, de se retrouver et d’agir. Cette compagnie qui s’était soudée et retrouvée par amour et par la nécessité de faire du théâtre et de se réapproprier les espaces publics se retrouve tout d’un coup coincée, enfermée et bâillonnée. 

La société, qui jusqu’alors était déjà "atomisée (6)" l’est d’autant plus depuis la crise du COVID-19. C’est cette même scission entre les individus que la compagnie Hoc Momento tend à réparer, à ressouder. C’est pourquoi, la compagnie a tenu à reprendre ses activités dès l’annonce du déconfinement et, par l’accord unanime de tous ses membres, a décidé de reprendre ses répétitions sans masque! La compagnie Hoc Momento qui travaille dans des espaces grands et aérés se positionne donc en “résistance” face à l’atomisation de la société et donc en résistance face à l’application stricte des mesures sanitaires (7). Pour pouvoir jouer malgré le COVID-19, ils ont créé une parade, un spectacle de rue où il serait possible et légal de jouer à l’air libre. Des représentations ont tout de même été annulées, malgré leurs efforts de résistance et d’efforts pour jouer. Les rémunérations qu’elles incluaient ont également été perdues. Ses pertes, qui s’ajoutent au bilan financier de l’année, ne trouveront aucune compensation.

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En conclusion, la Compagnie Hoc Momento, une compagnie en dehors des normes, hors case a fini par trouver une place (pour l’instant petite) dans le paysage culturel français et ses institutions. La compagnie, familière aux crises en tout genre, n’en est plus à son galon d’essai et était prête à réagir lorsque le COVID-19 est arrivé. Elle a su s’adapter, se réinventer pour passer entre les mailles du filet des interdictions et des contraintes sanitaires pour continuer à agir et à créer. Néanmoins la crise du COVID-19 aura laissé un vide dans le portefeuille déjà maigre de ce groupe. On retiendra que toutes les compagnies de théâtre ne sont pas soutenues et financées à la hauteur d’une grosse compagnie telle que la compagnie de Joël Pommerat que nous avons vu précédemment. La crise du COVID-19 n’a pas seulement révélé les conditions désastreuses et précaires de nos hôpitaux publics, mais également celle de nos appareils culturels.